Malgré les recommandations de bonnes pratiques édictées par la Haute Autorité de Santé et les sociétés savantes, la survenue d’un événement indésirable grave (EIG) est toujours plausible. La concertation pluridisciplinaire peut permettre des prises de décisions dans le cadre d’une démarche de prévention des risques a priori permettant un niveau de sécurité patient optimal.
Un patient de 95 ans, non institutionnalisé, arrive au service d’accueil des urgences pour chute de son lit.
L’appel initial de secours par l’auxiliaire de vie a été régulé par le SAMU qui, compte tenu du caractère de non-urgence vitale, fait appel à une société d’ambulance agréée pour le transport préhospitalier.
Le patient présente une surdité appareillée, mais il subsiste une communication compliquée laissant présager un début de démence, selon son entourage. Ce patient est extrêmement anxieux dès son arrivée. Au niveau familial, il lui reste seulement une fille qui est éloignée de la résidence de son père (distance de 500 kilomètres).
Dans les antécédents, on note principalement des facteurs de risques cardiovasculaires : HyperTension Artérielle (HTA), cardiopathie rythmique, Accident Vasculaire Cérébral (AVC) embolique.
Lors de la prise en charge pluridisciplinaire à l’entrée, le diagnostic d’une fracture du col du fémur Garden 4 est porté après examen clinique et imagerie complémentaire, nécessitant une pose de prothèse intermédiaire de hanche cimentée.
La consultation d’anesthésie faite en urgence conclut à un patient fragile classé ASA 3 U pour grand âge, HTA, cardiopathie rythmique emboligène sous AVK et antécédents d’épilepsie.
Devant le contexte semi urgent de la chirurgie, une décision médicale collégiale est prise de pratiquer l’intervention avec un INR < 1,5 sans effectuer l’antidote des AVK dès l’arrivée.
Le patient est ensuite hospitalisé dans un service de chirurgie conventionnelle et une surveillance quotidienne est supervisée par l’équipe d’anesthésie.
Devant la lenteur de la décroissance de l’INR (INR=1,8 à J4), une décision collégiale est validée en programmant l’intervention à J5. Lors de la visite préanesthésique la veille, une prescription est établie pour l’antagonisation des AVK le matin de l’intervention.
À l’arrivée au bloc opératoire, l’anesthésie loco-régionale (ALR) préopératoire est réalisée en sas de pré-induction. Puis, le patient entre en salle d’opération.
Une anesthésie générale est réalisée avec une induction anesthésique avec protocole adapté au terrain (Anesthésie intraveineuse à objectif de concentration plasmatique). On ne note pas d’incident anesthésique à l’induction…
L’anticipation du temps chirurgical de scellement osseux par ciment est faite par un IADE en salle, avec mesures adaptées de prévention du risque du syndrome de scellement osseux par :
Juste avant la pose du ciment, l’équipe chirurgicale applique également des actions préventives recommandées, c’est-à-dire la préparation progressive de la cavité osseuse, l’obstruction à l’aide d’un bouchon et lavage du canal médullaire, le drainage au contact du bouchon en dessous de la pointe de tige envisagée.
Quelques instants après le scellement de la tige par ciment, il survient une hypotension sévère puis une bradycardie avec une chute de l'EtCO2, suivie d’un arrêt cardiocirculatoire.
L’équipe d’anesthésie est rapidement renforcée (message par interphone) et une réanimation cardio-pulmonaire est immédiatement débutée :
Malgré la réanimation cardio circulatoire, le patient décède d’une asystolie réfractaire après transfert en réanimation.
Un débriefing à chaud avec l’équipe pluridisciplinaire est organisé devant cet événement grave inattendu.
Une feuille de déclaration d’évènement indésirable par le Médecin Anesthésiste Réanimateur (MAR) responsable de la salle est réalisée.
Le Coordonnateur de la gestion des risques associés aux soins propose à l’équipe de présenter ce cas en RMM, avec l’aide méthodologique du Département de la qualité et de la gestion des risques liés aux soins.
Cet événement indésirable grave a généré au sein de l’équipe pluridisciplinaire en place une situation de décès périopératoire délicate et posant nécessairement question sur la conduite à tenir face à cette prise en charge de patient.
Cet événement inattendu au regard de l’état de santé et de la pathologie de la personne soignée doit être considéré comme un Événement Indésirable Grave Associé aux Soins selon l’article R1413-67 du Code de la santé publique et nécessite une déclaration sur le portail ad’hoc.
Dans les semaines qui suivent, dans le cadre d’une Revue Morbi Mortalité, ce cas clinique sera présenté à l’ensemble des professionnels de santé travaillant sur la prise en charge des urgences traumatologiques de l’établissement.
Une analyse de risques a posteriori est donc réalisée.
Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs à la recherche des causes conduisant à cette erreur sont recherchés. La méthode ALARM est retenue.
Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge de ce patient : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents tracés dans le dossier patient informatisé et recherche des recommandations inhérentes à ce type de prise en charge.
La situation a été d’emblée complexe du fait de la semi-urgence et de l’état global du patient, nécessitant une attente de plusieurs jours avant de pouvoir effectuer le geste chirurgical.
La survenue rapide des signes de dégradation lors d’un temps précis opératoire, à risque connu, a rapidement fait basculer la situation en état critique, aboutissant au décès du patient.
Malgré cet EIG, le rapport bénéfices/risques avait été clairement fixé dès l’admission de ce patient, rendant la situation complexe et fragile.
De plus, le choix de laisser l’INR remonter à une valeur à 1,5 répond aux recommandations des sociétés savantes d’anesthésie.
Les médecins orthopédistes présents lors de la RMM ont conforté leur choix d’utiliser le ciment pour fixer la prothèse, jugeant que le fait d’impacter cette dernière pouvait entraîner une fragilité de la tige fémorale au vu de l’ostéoporose certaine chez ce patient de 95 ans.
L’ensemble des recommandations par rapport à la survenue du SSO est connu de tous les professionnels et a été appliqué tant sur le plan anesthésique que chirurgical.
Lors de la revue de bibliographie mensuelle, présentation des dernières études et recommandations chirurgicales de prise en charge de ces fractures traumatologiques avec exposé des bénéfices-risques patients.
D’une manière hebdomadaire, formalisation de présentation par les médecins juniors au staff des interventions prothétiques de la semaine.
La communication entre les différents acteurs de santé doit être optimale sur la prise en charge et le choix de la technique opératoire, en tenant compte du ratio bénéfices/risques, en particulier pour des patients âgés, fragiles ou à fortes comorbidités.
Dans un souci constant d’amélioration des pratiques professionnelles, les connaissances et les compétences de l’ensemble des professionnels de santé du bloc opératoire sur la prévention et la détection précoce du SSO doivent être actualisées et maîtrisées par tous les protagonistes exerçant en orthopédie et traumatologie.